En blanc ou dans la cuisine, Camus versus Sartre

Publié le par Christiane Valdy

Mariages, terribles rituels partout dans le monde.

Draps souillés de sang pour la nuit de noce, fondement de la souffrance de la femme mariée; une poule égorgée ou des veines entaillées feront l’affaire pour sauver ce que l’on surnomme l’honneur.

Dans l’ombre et l’humidité de l’intérieur gothique de l’église, entre les émanations d’encens, la future mariée dévoilera son visage au regard désireux de ce prêtre se posant en donneur de leçons de vie, et nous subirons l'abêtissement du sermon et des croyances religieuses.

Puis tout le monde dansera, bouffera, rigolera, boira un peu trop, les histoires de familles iront bon train.

S’ensuivront des jeux à la noix, désirs cachés de mâles baveux, tels une vente aux enchères de bétail.

Pour mes deux mariages, j’ai fort heureusement échappé à ces rites coutumiers, et la plume de Camus aurait parfaitement su dépeindre le non-sens des évènements.

Pour le premier avec mon ventre de 7 ou 8 mois, c'est Baudis qui nous maria à la mairie de Toulouse. C'était le seul moyen que mon copain argentin obtienne une carte de séjour. Mes parents avaient tenu à faire un repas. J’y avais invité Mohamed et Rachid mes deux amis et témoins du premier piège. On était six, on était six qui essayaient de sourire, il n’y eut aucun toast. Le marié a depuis longtemps disparu de ma vie et de mes pensées. Un seul remerciement, dans le mal le bien : mon fils Frédéric. Et « Je tire de l'absurde, a dit Camus, trois conséquences qui sont ma révolte, ma liberté, ma passion. »

Pour le deuxième, les aleas de la vie m'avait fait changer de continent, tout commença par une matinée ensoleillée de la saison des pluies diluviennes costariciennes. Memo et moi nous allâmes chez Leo le cousin avocat pour voir si mon acte de naissance avec la mention de divorcée du premier mariage avait été enfin traduit et authentifié. Nous grimpâmes donc les escaliers en bois menant au bureau. « No, no está, pero los caso igual, ¿Christi tiene su pasaporte? ¿Memo su cédula?  Estan listos ?" - "Les papiers ne sont toujours pas traduits, mais je vous marie quand même. Vous êtes prêtsw ? T’as ton passeport Christi ? Ta carte d’identité Memo ? »

Sans nous laisser le temps de réfléchir, Leo appela le notaire, son voisin de palier et compa, les deux secrétaires de service pour servir de témoin. Il plaça une cassette de musique pimpon dans le vieux magnétophone grésillant, nous lut un paragraphe sur nos devoirs, nous fit signer l’acte, et nous déclara « esposo y esposa ».

Sans bague au doigt bien entendu, les deux mariés repartirent, dégringolant les escaliers en éclatant de rire. Les alliances ne furent jamais été achetées. Ni pécune, ni pécule, ni fleurs, ni cadeaux, ni messe, ni voile, ni champagne. Et il faisait un soleil de plomb comme lors de l’enterrement de la mère de Camus.

Frédéric c'est mon fils ainé, après la longue traversée d’un désert de solitude et de souffrance d’une séparation non voulue, rencontra Gioconda. Son futur mariage fut annoncé via facebook. Je pensais à une plaisanterie, et n’avais osé demander confirmation. Quand je lui dis : Tu aurais pu m’avertir !, il me répondit : je l’ai annoncé sur facebook. ». Je dus acheter une robe pour un mariage traditionnel à l’église de Santa Ana, la mariée en blanc. Ce fut leur choix. Mais mon fils n’était pourtant pas baptisé ? Il avait sans doute modifié sa situation face à l’église catholique, concession pour complaire, mais inavouable.

Son sourire, son bonheur, quelle joie de le voir, lui qui souriait si peu souvent !

Hier ce fut le tour de Gabriel. Gabriel c’est mon autre fils, le second. Par un message whatsapp il m’avait annoncé qu’il avait décidé de se marier avec Ani. Aucune opinion à émettre, j’ai trop peur de mes mots de belle-mère. Puis un autre message confirma l’heure de la cérémonie quelques instants avant. Il y eut donc les futurs mariés, les deux mamans, pas les pères, les deux témoins, ma fille Marianne qui ne manque jamais de s’inviter même si elle n’est pas sur la liste des élus, et un notaire venu à domicile. Pas de champagne, pas de danse, pas de bouffe, on était là pour une signature. Non mensonges, j’avais acheté une bouteille de mousseux Valdivia et un bouquet de petites roses couleur saumon.

Les deux, heureux. Ani vêtue de bleu foncé, bleu couleur de la sérénité, la patience, la sincérité. Noir pour la stabilité et l’humilité. Gabriel avec un tendre sourire empli d’émotions.

Le notaire sut jouer son rôle à la perfection en ajoutant un petit discours sans Dieu ni bible. Admiration, respect, communication, les trois points clés d’un mariage qui dure. Ce personnage, petit, mince, cravate, sorti d’une pièce de Ionesco ne manqua pas de féliciter les deux mariés pour leur bonheur. Il profita aussi de l’occasion pour leur signaler que son propre mariage n’avait pas duré, et pour proposer ses services en cas de besoin, entendons pour divorcer.

Ah, j’oubliais, le mariage se déroula dans la cuisine de l’appartement de Gabriel.

Un mariage plutôt sartrien, Gabriel responsable et en accord avec le choix de ses actes.

Alors je lève mon verre à Ani et Gabi : que leur bonheur dure, et qu'ils ne se déchirent jamais !

En blanc ou dans la cuisine

Camus versus Sartre

 

Publié dans Famille-perso

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